Jusqu’à la fin des années 1980, l’itinérance au Canada était surtout considérée comme un phénomène qui affectait presque exclusivement les hommes seuls qui se retrouvaient exposés, de façon chronique et visible, dans la rue.

Or, les travaux actuels révèlent une diversification des expériences chez les hommes en situation d’itinérance selon l’âge, l’orientation sexuelle et l’identité de genre, le parcours migratoire, les situations de handicap et les réalités autochtones. Ce constat pointe vers une analyse de la pluralité des parcours de vie des hommes en situation d’itinérance ou à risque de le devenir afin de tenir compte de la multiplicité des formes de ce phénomène et de mieux arrimer les actions de prévention et d’intervention visant à répondre à leurs besoins. Ce projet s’appuie sur trois concepts théoriques, soit le parcours de vie, le non-recours aux services et la masculinité hégémonique, afin de saisir la pluralité des parcours de vie des hommes en situation d’itinérance en tenant compte des rapports de genre et de leurs expériences avec les services.

Inscrit dans une méthodologie qualitative et participative, ce projet met de l’avant le point de vue des acteurs concernés par l’itinérance chez les hommes dans différentes régions du Québec. Dans un premier temps, 19 groupes de discussion ont été réalisés avec des intervenant.es, entre novembre 2020 et octobre 2021, dans 8 régions administratives du Québec. Les participant.es sont issu.es du réseau de la santé et des services sociaux, d’autres institutions publiques (p. ex. services de police) ou d’organismes communautaires. Dans un deuxième temps, 44 entretiens individuels semi-dirigés ont été menés avec des hommes ayant connu l’itinérance ou une période d’instabilité domiciliaire. Ces entretiens se sont déroulés entre juin 2021 et octobre 2022 dans 7 régions administratives du Québec. Les participants étaient âgés de 23 à 66 ans (moyenne = 43 ans). Le quart des participants sont issus de la diversité sexuelle et de genre, la majorité a pour langue maternelle le français, 5 hommes sont issus de l’immigration, 5 sont racisés et 3 sont autochtones.

Les résultats mettent de l’avant l’enchevêtrement des facteurs de fragilisation structurelle, institutionnelle, interpersonnelle et individuelle dans les parcours de vie des hommes en situation d’itinérance. L’identification de cinq expériences-typiques du passage à l’itinérance illustre l’hétérogénéité des parcours de vie des hommes : 1) des expériences de précarité d’emploi; 2) des expériences de deuil; 3) des expériences d’exclusion familiale; 4) des expériences d’institutionnalisation; 5) des expériences de violence identitaire. Ces expériences-typiques montrent que le passage à l’itinérance chez les hommes est complexe et s’explique par un enchevêtrement de facteurs de fragilisation qui ne se limitent pas aux enjeux individuels, tels que la consommation de substances ou les problèmes de santé mentale, comme c’est souvent présenté dans les travaux. Malgré cette diversité d’expériences, les constats montrent que les services tendent néanmoins à se concentrer sur un profil unique et homogène d’hommes en situation d’itinérance, soit les hommes adultes, blancs, francophones, cisgenres et hétérosexuels, en négligeant, par le fait même, la diversité des autres visages.

D’ailleurs, l’ensemble du corpus témoigne de l’importance de tenir compte des enjeux liés à la masculinité hégémonique dans le passage à l’itinérance chez les hommes, notamment à travers la notion de perte de dignité liée à la précarité d’emploi, mais aussi dans le non-recours aux services qui se caractérise par une volonté de préserver une image empreinte d’autonomie et de débrouillardise. Enfin, les résultats révèlent la nécessité de mettre en place des interventions humaines et sensibles qui respectent le rythme des hommes afin de les accompagner dans leurs démarches.

Chercheur principal
Philippe-Benoit Côté, Université du Québec à Montréal

Résumé

Rapport de recherche

Syntheses finales : Abitibi-Temiscamingue, Capitale-Nationale, Estrie, Laurentides, Mauricie-Centre-du-Québec, Montérégie, Montréal, Outaouais

Appel de propositions

Dépôt du rapport de recherche : mai 2023