En effet, les femmes vont généralement tout faire pour éviter la rue, et même une fois dans la rue, éviter d’être repérée comme une femme en situation d’itinérance. Pourtant, ce statu quo révèle davantage l’invisibilisation scientifique et sociale de l’itinérance des femmes.
En partant de la rue et de la visibilité de l’itinérance, on inscrit d’une part notre compréhension de ce phénomène complexe, dans une lecture masculine de l’itinérance et d’autre part, on structure l’intervention à partir d’une position extrême de l’itinérance, soit celle vécue dans la rue. Pourtant, l’itinérance renvoie davantage à l’absence d’un chez soi stable, sécuritaire, abordable et adéquat plutôt qu’à une stricte expérience de vie de rue. Dans cette perspective, et malgré le fait que tous les indicateurs socio-économiques démontrent que les femmes sont plus en situation de pauvreté, ont des emplois plus précaires, moins payés, vivent davantage dans des conditions inappropriées de logement, subissent très largement plus de situations de violence, l’itinérance des femmes est trop souvent ignorée, invisibilisée.
Les femmes vont généralement tout faire pour éviter la rue.
C’est dans ce contexte que cette recherche participative a pour finalité de se placer au cœur de l’expérience de l’itinérance des femmes, pour la rendre visible et soutenir une amélioration des politiques et des pratiques à leur égard.
Les résultats montrent d’une part, que les trajectoires des femmes vers et dans l’itinérance s’expliquent par de nombreuses barrières structurelles, institutionnelles, sociales, culturelles et individuelles qui leur imposent le plus souvent, de faire face seules, dans l’insécurité, le stigma et la honte, à leurs difficultés. D’autre part, la pénurie des services pour ces femmes, leur mixité dans certains cas, leur inadéquation dans de nombreux autres, les conduisent trop souvent à arriver épuisées, sans ressource, avec de multiples traumatismes, dans des contextes d’intervention trop peu nombreux. Dès lors, le chemin vers le rétablissement est long, périlleux et difficile. En effet, se remettre d’une expérience d’indignité totale, exige du temps et de la sécurité, pour renouer avec son corps, avec soi et les autres, pour affronter, au demeurant, le cadre inégalitaire de notre société.
Ces constats exigent de modifier profondément notre regard et nos actions pour prévenir, soutenir, réduire l’itinérance des femmes, en travaillant de manière continue sur la reconnaissance de ces situations et sur les moyens d’y répondre et permettre à chaque québécoise de vivre dans la dignité et la sécurité, dans le respect de ses droits fondamentaux.
Chercheure principale
Céline Bellot, Université de Montréal
Dépôt du rapport de recherche : juin 2018