Chercheuse : 
Gagnon, Justine

Établissement : 
Université Laval

Année de concours : 
2021-2022

Devant l’impasse que représente à divers égards le processus de revendications territoriales au Canada, plusieurs communautés autochtones se tournent vers des stratégies alternatives et complémentaires visant à promouvoir leur occupation ancestrale et contemporaine du territoire, tout en sollicitant de nouvelles formes de protection et de préservation de ce dernier. Prenant la forme de ce que nous pourrions désigner comme des « revendications patrimoniales », ces stratégies, ayant pour objet des sites ou paysages culturels hautement symboliques, s’attachent à restaurer un sens du lieu largement écorché par les mécanismes de dépossession et les processus d’assimilation.

Cette avenue est celle que privilégie la communauté innue de Pessamit qui, depuis 2016, s’est engagée dans un processus de mise en valeur d’un site patrimonial d’envergure situé le long de la rivière Manicouagan, à proximité des infrastructures du barrage Manic-5. D’une longueur d’environ 8 à 9 kilomètres, le portage Uamashtakan (mot qui signifie « faire un contournement » en Innu Aimun), de même que les lieux de campement et les sépultures qui en ponctuent la trajectoire, témoignent de l’utilisation millénaire des cours d’eau comme voies de pénétration en territoire. Porteur d’une mémoire culturelle qui, bien que fragilisée, continue d’assurer le maintien des pratiques et des savoirs innus, l’ancien sentier figure ainsi sur la liste des sites culturels à protéger dans l’Entente de principe d’ordre général, ratifiée en 2004 par les Pessamiulnuat et les deux paliers de gouvernement (EPOG, 2004).

La démarche soulève toutefois un certain nombre d’enjeux en ce qui a trait aux dynamiques de mise en valeur et de protection de ces sites et paysages culturels sur un territoire « enchevêtré » (Dussart et Poirier, 2017). Enchâssé dans un paysage hydroélectrique faisant lui-même l’objet d’une mise en valeur (Manic-5 accueille des milliers de visiteurs chaque été), en plus d’être soumis aux règlementations des terres du domaine de l’État, Uamashtakan témoigne de la volonté des Pessamiulnuat d’assurer le maintien de leur appartenance au territoire face à un accaparement foncier aussi diversifié que cumulatif, tout en dévoilant les obstacles auxquels se bute pareille entreprise. Leur démarche met notamment en lumière la question difficile de l’harmonisation des usages sur un territoire « enchevêtré », de même que l’incongruité, dans un tel contexte, d’une quête d’authenticité ou d’intégrité, souvent inhérente à la démarche patrimoniale (Smith, 2006; 2010).

Proposant un dialogue entre les plus récentes approches en matière de protection du patrimoine territorial autochtone (au Québec et ailleurs) et la notion d’enchevêtrement, ce projet de recherche collaboratif a pour but de documenter la nature et le rôle de certains sites et paysages culturels innus dans la transmission culturelle et l’occupation contemporaine du Nitassinan (leur territoire), tout en analysant de manière critique les enjeux et les obstacles que posent actuellement leur protection et leur mise en valeur. Le projet prévoit enfin la conception d’initiatives de mise en valeur adaptées aux besoins de la communauté.