Chercheuse : 
Pageot, Édith-Anne

Établissement : 
Université du Québec à Montréal (UQAM)

Année de concours : 
2021-2022

Au-delà des définitions changeantes en regard de l’opposition art et artisanat, les pratiques artistiques qui utilisent la fibre comme technique, matériel ou concept font partie intégrante de la culture visuelle. La fibre constitue, en effet, un des aspects centraux de la démarche multidisciplinaire de plusieurs artistes, tant autochtones qu’allochtones. Souvent pratiquées par des femmes marginalisées par l’histoire de l’art canonique, coloniale et androcentrée, les approches centrées sur la fibre souffrent d’une carence documentaire et d’un déficit théorique. La reconnaissance dans les milieux consacrés de l’art des ?uvres dont la spécificité emprunte à la fibre ses caractéristiques est non seulement tardive, mais aussi parcellaire, contextuelle et politique. Le projet que je propose vise à esquisser les contours des circuits de production et de diffusion des « arts de la fibre » au Québec entre 1950 et 2020. Les résultats obtenus serviront à valider les hypothèses et à poser les jalons d’un chantier de recherche plus exhaustif pour lequel je soumettrai une demande d’aide financière auprès du CRSH en 2023. Dans le cadre de cette première phase exploratoire, je procéderai par études de cas selon un découpage en trois périodes. La première (les décennies 1950-1960-1970) correspond à l’émergence d’une pratique renouvelée qu’on appelle à l’époque la « nouvelle tapisserie ». L’entrée de la tapisserie comme discipline enseignée aux Écoles des Beaux-Arts de Québec et de Montréal et le travail pionnier de Mariette Rousseau Vermette, Jeanne-d’Arc Corriveau et Micheline Beauchemin inspire toute une génération d’artistes de la « nouvelle tapisserie ».

La deuxième période (les décennies 1980 et 1990) se caractérise par un effort de théorisation et de reconnaissance des « arts textiles contemporains » en tant que discipline artistique à part entière, la création du Conseil des arts textiles du Québec en 1980 entend satisfaire ce mandat. La troisième période (les décennies 2000 et 2010) reflète la diversité des pratiques et le pluralisme des postures contemporaines, au-delà de toutes visées globalisantes ou essentialistes. La démarche artistique singulière et les réseaux de diffusion de l’œuvre d’artistes contemporaines qui explorent la fibre seront examinés : Eruoma Awashish, Ingrid Bachmann, Ying Gao, Les Fermières obsédées, Carla Hemlock, Devora Neumark, Nadia Myre, Dolorès Contré Migwans, Jobena Petonoquot, les tricoteuses urbaines, Cheryl Sim et Giorgia Volpe. Le dépouillement d’archives et la conduite d’entrevues permettront de constituer un répertoire évolutif d’artistes dont l’œuvre est structurée par les caractéristiques de la fibre, au plan matériel, technique ou conceptuel. Les données recueillies permettront aussi d’esquisser une géographie des lieux de circulation de ces pratiques afin de dégager la logique inhérente à leur organisation en réseaux de diffusion et de cerner les enjeux qui sous-tendent la rhétorique des appareils d’homologation de ces réseaux à partir de l’analyse discursive de la fortune critique des catalogues d’exposition recensés. Ce projet contribuera à la mise en chantier de nouveaux sujets de recherche sur la fibre, les femmes et sur l’historiographie. Les résultats obtenus pourront être harmonisés aux données colligées par le Laboratoire numérique d’études sur l’histoire de l’art au Québec dont je fais partie.